L'AFFIRMATION DU POUVOIR ROYAL
Alors que l’Église romaine mandate ses premiers inquisiteurs en Languedoc et fait construire d’imposantes cathédrales (comme à Albi), le roi de France met en place des institutions nouvelles et un réseau défensif organisé. L’objectif de la monarchie capétienne est double : asseoir son autorité sur ces terres rebelles nouvellement soumises et assurer leur défense face à la puissante couronne d’Aragon, qui, depuis sa réunion avec le comté de Barcelone au XIIe siècle, règne désormais juste au sud.
LA SÉNÉCHAUSSÉE ROYALE DE CARCASSONNE
Dès l’annexion de Carcassonne au domaine royal en 1226, la Cité devient le siège d’une nouvelle circonscription administrative, judiciaire et militaire : la sénéchaussée royale de Carcassonne et de Béziers, qui comprend les évêchés de Lodève, Agde, Béziers et les diocèses de Carcassonne, Narbonne et Albi. Vers le sud, sa limite se confond avec celle du Termenès ; à l’ouest, elle confronte le comté de Toulouse et le pays de Foix.
À sa tête, le sénéchal va dans un premier temps disséminer des garnisons militaires dans les châteaux royaux de la région (Biterrois, Cabardès, etc.) et faire remodeler entièrement la Cité de Carcassonne. La fortification du château comtal et le doublement de l’enceinte sont réalisées entre 1228 et 1239 suivant des normes de construction nouvelles, initiées sous le règne de Philippe-Auguste (1180-1223) pour faire face aux évolutions de l’armement et aux nouvelles techniques de siège. Ce nouveau type d’architecture militaire, connu sous le nom de modèle philippien est mis en œuvre dans tout le royaume de France pour symboliser sa puissance, et notamment au gré de ses nouvelles conquêtes dans le Midi.
NAISSANCE D'UNE FRONTIÈRE
Le 11 mai 1258, le roi de France et le roi d’Aragon signent le traité de Corbeil : Louis IX (futur Saint-Louis) renonce à toute revendication de droit sur le comté de Barcelone (Catalogne et Roussillon), tandis que Jacques Ier abandonne ses droits sur le Midi de la France (sauf Montpellier). En faisant table rase de l’enchevêtrement des possessions et des droits qui caractérisent le monde féodal, le traité de Corbeil invente ainsi une frontière de type éminemment moderne : de chaque côté de la ligne, chacun est sans partage chez soi.
Il faut alors mettre en défense cette frontière. C’est dans cette perspective que sont reconstruits ou agrandis les châteaux du massif des Corbières, qui constitue désormais le « bastion avancé » du royaume de France. Édifiées sur de vertigineuses crêtes rocheuses selon les techniques de défense innovantes de l’architecture philippienne, les nouvelles forteresses royales de Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar, Termes et Puilaurens deviennent ainsi les maillons forts du réseau défensif mis en place autour de la sénéchaussée, formant ceux que l’on appellera par la suite « les cinq fils de Carcassonne ». Cette ligne défensive est complétée par les forteresses de Lastours et de Montségur, qui, sans avoir exactement le même statut, sont un signal fort de la puissance capétienne.
UNE GESTION CENTRALISÉE
La gestion des forteresses royales est assurée par le sénéchal de Carcassonne. Il a ainsi la charge de nommer les châtelains à la tête des garnisons, de veiller à l’approvisionnement des châteaux, de leur fournir l’armement et les équipements militaires nécessaires. Le château comtal, dans la Cité, abrite, outre l’arsenal, les différents agents royaux chargés de la maintenance des forteresses : le charpentier et le maçon, maîtres d’œuvre du roi et responsables de l’arsenal qui fournit munitions et matériels divers ; l’intendant, qui achète et répartit l’approvisionnement en blé et en viande ; l’artilleur, qui répare les machines de guerre et commande aux armuriers qui délivrent les armes offensives et défensives.
Témoignant ainsi d’une véritable planification, caractéristique des débuts de l’État centralisé en France, ce chapelet de forteresses gardera inviolée la frontière face à l’Espagne durant quatre siècles, jusqu’au traité des Pyrénées.